Beaucoup d’encre a coulé sur le fait que la COVID-19 s’apprête à anéantir des milliers de restaurants. Le secteur en entier a été mis à rude épreuve et, lorsque la crise sera passée, votre bistro préféré pourrait avoir disparu. La ZAC du Cœur d’Orléans renferme plusieurs restaurants détenus et exploités par de petits propriétaires indépendants. Leurs modèles d’affaires varient énormément : certains établissements sont conçus pour manger sur place, tandis que plusieurs se spécialisent dans les commandes à emporter. Cependant, tous feront face à des défis semblables pour surmonter l’après-crise. C’est pourquoi il est important de bien comprendre la fragilité du secteur. D’abord, pour bien saisir comment la restauration est devenue un secteur si précaire, une remise en contexte s’impose. Au cours des 15 à 20 dernières années, les marges de profit de l’industrie de la restauration ont diminué de façon significative.
Pour établir une comparaison, le magazine Forbes et la NYU Stern School of Business situent les marges de profit pour les services professionnels entre 15 et 25 %, tandis que celles de la restauration tournent autour de 3 à 9 %. Ces minces marges ne permettent pas aux restaurateurs de se constituer des réserves. Lorsqu’une crise frappe, comme celle que nous vivons actuellement, plusieurs établissements peinent à passer au travers.
Comment les marges et la rentabilité en sont-elles venues à tomber si bas ? Au Canada, les restaurants se livrent
concurrence sur le prix. Dans le passé, les marges nettes étaient le double ou le triple de ce qu’elles sont aujourd’hui. Au cours des 20 dernières années, l’arrivée massive de chaînes de restauration détenues par de gros conglomérats et l’expansion rapide du secteur ont provoqué des guerres de prix axées sur l’augmentation des recettes brutes. Les chaînes sont à l’origine de ces luttes de prix qui ont déformé notre perception du coût actuel des repas de restaurant. Aujourd’hui, le consommateur moyen ne connaît pas le juste prix lorsqu’il demande à quelqu’un d’autre d’acheter, de préparer et de cuisiner ses aliments, de lui servir un repas dans une salle à manger chauffée ou climatisée, et de nettoyer ensuite la cuisine, la table et la vaisselle utilisées. Pourtant, le client a besoin de comprendre comment les marges sont calculées pour bien évaluer la valeur du service qu’il achète.
La marge de profit net correspond au montant qui reste lorsque l’on soustrait l’ensemble des dépenses d’exploitation des recettes de vente. Ces dépenses comprennent le coût des produits et de la main d’œuvre, ainsi que les frais généraux encourus pour fournir le service. Plusieurs de ces coûts ne sont pas visibles lorsque vous vous assoyez a restaurant pour prendre un repas. Le restaurateur moyen tentera donc de minimiser ses coûts. Il ne peut pas réduire les dépenses liées à la qualité des aliments, aux réparations ou aux assurances. De plus, les augmentations salariales en Ontario ont poussé toutes les échelles salariales à la hausse, produisant une augmentation des charges salariales d’environ 15 % pour les entreprises. Cependant, les prix affichés sur les menus ont très peu augmenté pour compenser ces coûts additionnels. Plutôt, les propriétaires de restaurant choisissent généralement d’augmenter leur propre charge de travail pour éviter de payer du personnel. Si nous voulons assurer la prospérité future du secteur de la restauration, il nous faudra accepter de payer un juste prix pour le service désiré. Par exemple, si la vente fictive ci-dessus était portée à 112 $, le profit net du restaurateur serait d’environ 15%, ce qui lui permettrait de créer une réserve. À l’avenir, nous devrons peut-être accepter de payer un montant encore plus
élevé, car la crise a fait ressortir la réelle valeur de la main d’œuvre du secteur de la restauration. Par quoi cela se traduirait-il pour le client ? Entre autres, la bière se vendrait 8,50 $ plutôt que 7,50 $, et la pizza coûterait 19 $ plutôt que 17 $. En réalité, il ne s’agit pas d’un prix trop élevé à payer pour avoir accès à son loisir et à son service
préféré. Il est permis d’espérer que nous tirerons des leçons de la pandémie de la COVID-19. Surtout, espérons que nous aurons appris à apprécier la valeur des repas que nous consommons, ainsi que celle de nos amis et de nos commerçants de quartier.